Andrew Tate : itinéraire d’un masculiniste


Andrew Tate sur le plateau de l’émission de télévision « Big Brother », Elstree Studios, Hertfordshire, le 10 Juin 2016.

Gros cigare, grosses voitures, gros muscles, grosse montre et gros propos sexistes : le phénomène Andrew Tate a déferlé ces derniers mois sur Internet. Sur TikTok, le hashtag qui porte son nom a généré 17,2 milliards de vues. Et sur Google, l’ancien champion de kickboxing est devenu l’une des personnalités les plus recherchées, rivalisant avec des célébrités comme Taylor Swift ou Lionel Messi.

« Si une femme sort avec un homme, elle appartient à cet homme » ; « Je ne sors jamais avec une femme de plus de 25 ans » ; « Vous ne pouvez pas être responsable d’un chien qui ne vous obéit pas (…) ni d’une femme qui ne vous obéit pas »… Surnommé « le roi de la masculinité toxique », Andrew Tate est un habitué des préceptes abjects. En 2017, en pleine affaire Harvey Weinstein et mouvement #metoo, il est banni de Twitter pour y avoir affirmé que les femmes « sont responsables » des viols qu’elles ont subis. En août 2022, ce sont TikTok, Instagram (où il comptait 4,7 millions d’abonnés) Facebook et YouTube qui excluent l’influenceur misogyne pour « contenu dangereux », « incitation à la violence » et « discours haineux ».

Le blacklisté Tate s’est depuis mué en un martyr de la censure et ses proches, eux, deviendraient des dommages collatéraux de la cancel culture. Dernier exemple en date, le 17 septembre : Carlos Rodriguez, le CEO et cofondateur de G2, l’un des clubs d’e-sport les plus populaires au monde, publie sur Twitter une vidéo d’une soirée bien arrosée aux côtés du playboy. Après une semaine de polémique, le club, qui vient à peine de présenter son équipe 100 % féminine pour League of Legends, le met à pied. Carlos Rodriguez démissionne dans la foulée.

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Des arts martiaux aux casinos

La popularité d’Andrew Tate résulte d’un cocktail entre arts martiaux, télé-réalité, travail du sexe, casino et bad buzz. Né en 1986 à Chicago, aux Etats-Unis, d’un père américain grand maître international aux échecs et d’une mère anglaise, il grandit dans la ville de Luton, au nord de Londres. Il se fait d’abord connaître pour ses performances en kickboxing en 2009 et décroche, deux ans plus tard, son premier titre mondial. En parallèle, sa carrière médiatique décolle : il participe, en 2010, à Ultimate Traveller, show britannique façon Pékin Express, puis est à l’affiche de la mère de toutes les télé-réalités, en 2016, Big Brother. Il s’en fait évincer après plusieurs tweets misogynes et la diffusion d’une vidéo où on le distingue battre une jeune femme avec une ceinture. Lui, affirme qu’elle était consentante.

A cette époque, il a déjà commencé à diffuser sur les réseaux sociaux sa pensée machiste. Andrew Tate enchaîne les interviews dans les médias d’ultra-droite, comme avec le complotiste américain Alex Jones sur sa plate-forme InfoWars. Côté politique, il pose avec le pro-Brexit Nigel Farage et soutient le clan Trump. Pendant qu’il enchaîne les provocations, son ascension sur les réseaux rappelle alors celle du Californien Hunter Moore, fondateur d’un site de revenge porn condamné à deux ans et demi de prison en 2015.

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Mis en cause dans une affaire de violences sexuelles en 2017, Andrew Tate quitte alors le Royaume-Uni pour s’installer en Roumanie, où il ouvre des casinos. Dans une vidéo supprimée depuis, il explique avoir fui l’Angleterre pour éviter des poursuites. En vain : en avril 2022, la police roumaine perquisitionne son manoir, l’ambassade des Etats-Unis ayant signalé qu’une Américaine de 21 ans y serait séquestrée. Après un interrogatoire, il ressort libre. Les autorités roumaines continuent d’enquêter sur des soupçons de trafic d’êtres humains.

Le business de la controverse

Ces affaires n’entachent apparemment pas son business florissant. Andrew Tate se dit aujourd’hui multimillionnaire et continue de bâtir sa propre légende de self-made-man en se mettant en scène en boîte de nuit ou en conduisant des voitures hors de prix. Il explique avoir monté avec son frère Tristan Tate et ses petites amies de l’époque un site de camgirls depuis son appartement qui lui aurait fait gagner 600 000 dollars par mois. Puis, en 2020, il a créé la Hustler’s University. Objectif : devenir riche grâce à Internet en un claquement de doigts. Hébergée sur Discord, moyennant 50 euros mensuels, la formation propose des coachings en trading ou en e-commerce. Les 100 000 inscrits, revendiqués par le site, gagnent de l’argent s’ils parrainent des nouveaux inscrits.

Mais, selon une enquête du Guardian, à la Hustler’s University, on apprend surtout à découper des extraits vidéo d’Andrew Tate pour inonder TikTok et les autres réseaux sociaux d’images du gourou. Car pour ce dernier, « attirer la controverse » est la clé du succès, comme l’explique le média britannique. Ainsi, les comptes fans et les copies se multiplient, et derrière les punchlines se dessine une effrayante culture du viol. Au point que certains enseignants et associations s’inquiètent du potentiel impact de ces publications sur les collégiens et lycéens.

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Banni des réseaux sociaux sans vraiment l’être, Andrew Tate continue en tout cas à tenter de faire fructifier sa notoriété. Il a créé l’ultraprivée War Room, une « fraternité » en ligne qui s’adresse, moyennant 4 147 livres (environ 4 760 euros), aux hommes qui « mourront sans regret ». Le réseau permettrait, selon le témoignage d’un participant sur le site, de « complètement changer [s]a perception de la dynamique mâle-femelle ».



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